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Formes élémentaires de la vie religieuse - Emile Durkheim
22 avril 2012

III Les rites fondamentaux

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LIVRE III

LES PRINCIPALES ATTITUDES RITUELLES

Chapitre I

Le culte négatif et ses fonctions. Les rites acétiques.

Ici Dukheim pose des repères sur les champs d'investigation.

Préoccupé d'atteindre ce qu'il y a de plus élémentaire et de plus fondamental dans la vie religieuse … nous voudrions, à travers l'extrême diversité des pratiques, tâcher de saisir les attitudes les plus caractéristiques que le primitif observe dans la célébration de son culte, en évitant de reconstituer dans le détail la multiplicité, souvent confuse, de tous les gestes rituels … mais en cherchant à classer les formes les plus générales de ses rites, en déterminer les origines et la signification, afin de contrôler et, s'il y a lieu, de préciser les résultats auxquels nous a conduit l'analyse des croyances.

Il distingue deux grandes catégories d'obligations cultuelles : Le culte positif qui désigne les rituels dûs aux différents cultes, et le culte négatif qui concerne les interdits (souvent appelés improprement « tabou » par extension du terme polynésien) : Tout culte présente un double aspect : l'un négatif, l'autre positif. Sans doute, dans la réalité, les deux sortes de rites que nous dénommons ainsi sont étroitement associés ; nous verrons qu'ils se supposent l'un l'autre. Mais ils ne laissent pas d'être différents et, ne serait-ce que pour comprendre leurs rapports, il est nécessaire de les distinguer.

I

Séparation sacré / profane :

Dans le culte négatif, il commence par distinguer les interdits qui ne concernent que les aspects pratiques du quotidiens (profanes), qui n'appellent pas de sanctions surajoutées aux inconvénients (on ne touche pas au feu : maintenant c'est tant pis pour ceux qui passent outre, point), et ceci inclut le domaine de la magie (non cultuelle en soi) ; de ceux donc qui concernent les profanations des choses sacrées qui appellent des sanctions exemplaires.

La fonction essentielle de ces interdits est avant tout de marquer ce qui est sacré en l'investissant d'une forme de respect supérieur, qui le protègerait de toute souillure par le profane en séparant les deux domaines... parfois aussi de séparer deux choses sacrées mais qui ne sont pas de même nature, ce qui est plus anecdotique dans le culte.

Les interdits de « contacts » sont donc particulièrement symptomatiques de cette séparation métaphorique.

Les jours de cérémonie, on ne vaque à aucune activité profane (Cf : jours chômés dans les sociétés modernes). De même on ne mange pas durant les cérémonies (action profane). Les choses sacrées ne doivent subir aucune agression, du moins sans rituel d'excuses en cas de nécessité absolue... qui vont parfois jusqu'à éviter de parler en présence, entendre, ou de regarder les choses sacrées, sauf certains initiés ou vécus comme tel (vieillards) etc. etc..

Cela va parfois jusqu'à utiliser un langage sacré ésotérique, et distinct du langage profane, lors des cérémonies. Aussi il se doit de se débarrasser de ses oripeaux ordinaires lors des cérémonies pour endosser des costumes consacrés.

... il vient finalement aboutir à deux interdictions fondamentales qui le résument et qui le dominent.

En premier lieu, la vie religieuse et la vie profane ne peuvent coexister dans un même espace. Pour que la première puisse se développer, il faut donc lui aménager un emplacement spécial d'où la seconde soit exclue. De là vient l'institution des temples et des sanctuaires : ce sont des portions d'espace qui sont affectées aux choses et aux êtres sacrés et qui leur servent d'habitats ; car ils ne peuvent s'établir sur le sol qu'à condition de se l'approprier totalement dans un rayon déterminé. Ces sortes d'arrangements sont tellement indispensables à toute vie religieuse que les religions même les plus inférieures ne peuvent s'en passer. L'ertnatulunga, cet endroit où sont déposés les churinga, est un véritable sanctuaire. Aussi est-il interdit aux non-initiés de s'en approcher. Il est même défendu de s'y livrer à une occupation profane, quelle qu'elle soit.

De même, la vie religieuse et la vie profane ne peuvent coexister dans les mêmes unités de temps. Il est donc nécessaire d'assigner à la première des jours ou des périodes déterminés d'où toutes les occupations profanes soient retirées. C'est ainsi qu'ont pris naissance les fêtes. Il n'est pas de religion ni, par conséquent, de société qui n'ait connu et pratiqué cette division du temps en deux parties tranchées qui alternent l'une avec l'autre suivant une loi variable avec les peuples et les civilisations ; c'est même très probablement, comme nous l'avons dit, la nécessité de cette alternance qui a amené les hommes à introduire, dans la continuité et l'homogénéité de la durée, des distinctions et des différenciations qu'elle ne comporte pas naturellement. Sans doute, il est à peu près impossible que la vie religieuse arrive jamais à se concentrer hermétiquement dans les milieux spatiaux et temporels qui lui sont ainsi attribués ; il est inévitable qu'il en filtre quelque peu au dehors. Il y a toujours des choses sacrées en dehors des sanctuaires ; il y a des rites qui peuvent être célébrés les jours ouvrables. Mais ce sont des choses sacrées de rang secondaire et des rites de moindre importance. La concentration reste la caractéristique dominante de cette organisation. Même elle est généralement complète pour tout ce qui concerne le culte public, qui ne peut se célébrer qu'en commun. Le culte privé, individuel, est le seul qui vienne se mêler d'assez près à la vie temporelle. Aussi le contraste entre ces deux phases successives de la vie humaine atteint-il son maximum d'intensité dans les sociétés inférieures, telles que sont les tribus australiennes; car c'est là que le culte individuel est le plus rudimentaire.

II 

L'acétisme : 

Dans cette séparation sacré / profane, viennent les rituels initiatiques qui transforment les impétrants d'enfants profanes en adultes membres sacralisés de la communauté : désormais ils sont partie intégrante du totem, et l'âme de la communauté les habitent désormais. Pour ce faire les rituels initiatiques les arrachent (violemment) à leur condition de "profane" en maltraitant tout ce qui les rattache au profane : Leur corps, et tout ce qui relie ce corps au profane par une période d'acese intense.

...  La métamorphose est si complète qu'elle est souvent représentée comme une seconde naissance. On imagine que le personnage profane qu'était jusqu'alors le jeune homme est mort ; qu'il a été tué et remporté par le Dieu de l'initiation, Bunjil, Baiame, ou Daramulun, et qu'un individu tout autre a pris la place de celui qui n'est plus. On saisit donc ici sur le vif les effets positifs que sont susceptibles d'avoir les rites négatifs. Sans doute nous n'entendons pas soutenir que ces derniers produisent, à eux seuls, cette grande transformation ; mais certainement ils y contribuent, et pour une large part.

A la lumière de ces faits, on peut comprendre ce que c'est que l'ascétisme, quelle place il occupe dans la vie religieuse, et d'où viennent les vertus qui lui ont été très généralement attribuées. Il n'y a pas en effet, d'interdit dont l'observance n'ait, à quelque degré, un caractère ascétique. S'abstenir d'une chose qui peut être utile ou d'une forme d'activité qui, puisqu'elle est usuelle, doit répondre à quelque besoin humain, c'est, de toute nécessité, s'imposer des gênes, des renoncements. Pour qu'il y ait ascétisme proprement dit, il suffit donc que ces pratiques se développent de manière à devenir la base d'un véritable régime de vie. Normalement, le culte négatif ne sert guère que d'introduction et de préparation au culte positif. Mais il arrive qu'il s'affranchit de cette subordination et passe au premier plan, que le système des interdits s'enfle et s'exagère au point d'envahir l'existence tout entière. Ainsi prend naissance l'ascétisme systématique qui, par conséquent, n'est pas autre chose qu'une hypertrophie du culte négatif. Les vertus spéciales qu'il est censé conférer ne sont qu'une forme amplifiée de celles que confère, à un moindre degré, la pratique de tout interdit. Elles ont la même origine ; car elles reposent également sur ce principe qu'on se sanctifie par cela seul qu'on fait effort pour se séparer du profane. Le pur ascète est un homme qui s'élève au-dessus des hommes et qui acquiert une sainteté particulière par des jeûnes, des veilles, par la retraite et le silence, en un mot par des privations, plus que par des actes de piété positive (offrandes, sacrifices, prières, etc.). L'histoire montre, d'autre part, à quel haut prestige religieux on peut atteindre par cette voie : le saint bouddhiste est essentiellement un ascète, et il est égal ou supérieur aux dieux.

Il suit de là que l'ascétisme n'est pas, comme on pourrait le croire, un fruit rare, exceptionnel et presque anormal de la vie religieuse ; c'en est, au contraire, un élément essentiel. Toute religion en contient au moins le germe, car il n'y en a pas où ne se rencontre un système d'interdits. La seule différence qu'il y ait sous ce rapport entre les cultes, c'est que ce germe y est plus ou moins développé. Encore convient-il d'ajouter qu'il n'en existe probablement pas un seul où ce développement ne prenne, au moins à titre temporaire, les traits caractéristiques de l'ascétisme proprement dit. C'est ce qui a lieu généralement à certaines périodes critiques, oh en un temps relativement court, il faut susciter chez un sujet quelque grave changement d'état. Alors, pour pouvoir l'introduire plus rapidement dans le cercle des choses sacrées avec lesquelles il s'agit de le mettre en contact, on le sépare violemment du monde profane ; ce qui ne va pas sans abstinences multipliées, sans une recrudescence exceptionnelle du système des interdits. C'est précisément ce qui se produit, en Australie, au moment de l'initiation. Pour transformer les jeunes gens en hommes, on leur fait vivre une véritable vie d'ascètes...

... Il est vrai que toutes ces pratiques sont souvent présentées comme des ordalies destinées à éprouver la valeur du néophyte et à faire savoir s'il est digne d'être admis dans la société religieuse. Mais en réalité, la fonction probatoire du rite n'est qu'un autre aspect de son efficacité. Car ce que prouve la manière dont il est subi, c'est précisément qu'il a bien produit son effet, c'est-à-dire qu'il a conféré les qualités (sacrées) qui sont sa première raison d'être...

... Nous disions au début de cet ouvrage que tous les éléments essentiels de la pensée et de la vie religieuse doivent se retrouver, au moins en germe, dès les religions les plus primitives: les faits qui précèdent confirment cette assertion. S'il est une croyance qui passe pour être spéciale aux religions les plus récentes et les plus idéalistes, c'est celle qui attribue à la douleur un pouvoir sanctifiant. Or, cette même croyance est à la base des rites qui viennent d'être observés. Sans doute, elle est étendue différemment suivant les moments de l'histoire où on la considère. Pour le chrétien, c'est surtout sur l'âme qu'elle est censée agir : elle l'épure, l'anoblit, la spiritualise. Pour l'Australien, c'est sur le corps qu'elle est efficace ; elle accroît les énergies vitales ...  C'est, en effet, par la manière dont il brave la douleur que se manifeste le mieux la grandeur de l'homme. jamais il ne s'élève avec plus d'éclat au-dessus de lui-même que quand il dompte sa nature au point de lui faire suivre une voie contraire à celle qu'elle prendrait spontanément. Par là, il se singularise entre toutes les autres créatures qui, elles, vont aveuglément où les appelle le plaisir ; par là, il se fait une place à part dans le monde. La douleur est le signe que certains des liens qui l'attachent au milieu profane sont rompus ; elle atteste donc qu'il est partiellement affranchi de ce milieu et, par suite, elle est justement considérée comme l'instrument de la délivrance. Aussi celui qui est ainsi délivré n'est-il pas victime d'une pure illusion quand il se croit investi d'une sorte de maîtrise sur les choses : il s'est réellement élevé au-dessus d'elles, par cela même qu'il y a renoncé ; il est plus fort que la nature puisqu'il la fait taire...

...Le culte positif n'est donc possible que si l'homme est entraîné au renoncement, à l'abnégation, au détachement de soi et, par conséquent, à la souffrance...

(Je ne sais pourquoi l'idée de laïcité m'est à priori assez sympathique. ndr)

III - IV 

Origine de la séparation sacré / profane :

Il y a une sorte de contagion du sacré à tout ce qu'il touche : Un oiseau qui vient se poser sur un arbre sacré devient lui-même sacré (et un tee-shirt porté par une idole de la chanson est lui-même sanctifié par ses fans). Or tel le mythe du roi Midas, qui transformait en or (valeur consacrée) tout ce qu'il touchait, où il mourut de faim, car ne pouvant plus se nourrir d'aliments ordinaires transformé de suite en or (et ce n'est pas une figure de rhétorique, puisque le clan du totem de l'eau ne pouvaient boire de l'eau qu'ils avaient puisé eux-même). Pour rester vivable le monde profane doit ainsi rester accessible, et donc non intouchable par sacralisation. Il importe donc de préserver le monde ordinaire de la consécration par contagion. D'où aussi le système clanique ou ce qui est sacré pour un clan ne n'est pas pour l'autre, qui fait que tout étant sacré pour l'un ou l'autre, tout est également profane pour l'un ou l'autre : ce qui permet à tous par échange de bons procédés réciproques d'avoir accès à l'ensemble du monde "sensible" : Il est interdit de tuer l'animal totem de son clan, mais une fois tué par un membre d'un autre clan, cet animal n'est plus tabou ... Ce n'est pas tant une protection du sacré par avilissement du profane dont il s'agit, que d'une protection du profane de la contagion du sacré à son encontre : Durkheim en dit que toute personne ayant été contaminée par le sacré sans ritualisation protectrice (tutelle d'un initié par exemple) risque d'être dévorée de l'intérieur par la maladie, jusqu'à la mort probablement.

(Donc, pour être honnête, Durkheim ne dit pas tout  aussi clairement ici, mais plutôt par ellipse.)

 

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